Le début de la fin pour la paille de plastique

La demande de pailles en papier

Voici la vidéo virale de 2015 qui serait à l’origine du mouvement : elle montre l’extraction d’une paille de plastique coincée dans le nez d’une tortue et expose les répercussions concrètes des déchets de plastique jetés dans nos océans.

Avertissement : cette vidéo est pénible à visionner.

Le début de la fin pour la paille de plastique

À quel moment avons-nous fait fausse route…?

La première paille, un objet de luxe fait d’or massif garni de lapis-lazulis bleus, a été retrouvée dans une tombe sumérienne datant de l’an 3 000 av. J.-C. On croit que ces pailles servaient alors à consommer des boissons alcoolisées en évitant d’avaler les matières solides utilisées dans le processus de fermentation. L’historique de la paille demeure ensuite flou jusqu’aux années 1800, où la paille d’ivraie, entièrement biodégradable, est alors utilisée pour consommer certaines boissons alcoolisées. Sa capacité de réutilisation et sa popularité restent toutefois limitées en raison de son matériau biologique de fabrication et du fait qu’elle donne un goût d’herbe aux boissons. Afin de combler ces lacunes, Marvin Stone invente, en 1888, la toute première paille de papier. D’abord conçue à partir d’une bande de papier enroulée autour d’un crayon puis fixée avec de la colle, la paille de papier deviendra la première paille de fabrication commerciale, enduite de cire pour en prévenir la dissolution. La paille de papier dominera alors le marché, sa popularité renforcée par l’invention de la paille flexible, idéale pour les enfants, par Joseph Friedman en 1937.

L’entrée en scène du polypropylène

La commercialisation de la paille de plastique dans les années 1960 a offert aux consommateurs une option plus durable et plus fiable. L’usage de la paille de papier a graduellement décliné au cours des années 1960 pour complètement disparaître dans les années 1970. L’apparition du plastique comme matériau de fabrication alternatif bon marché a entraîné une nouvelle vague d’innovations, notamment la « Krazy Straw » : cette version créative et amusante de la paille tubulaire, inventée en 1961, est devenue depuis un véritable emblème américain. L’essor de l’exploitation pétrolière bon marché et des techniques de production de masse a depuis imposé l’utilisation des pailles de plastique dans tous les restaurants avec service aux tables, les restaurants rapides et les services de commandes à emporter du monde.

Combien de pailles consommons-nous?

Avant de rédiger cet article, j’étais conscient des enjeux entourant l’utilisation de plastique à usage unique : on venait d’ailleurs tout juste d’apprendre que le vortex de déchets du Pacifique Nord était de 4 à 16 fois plus volumineux qu’estimé à l’origine. Je n’avais toutefois jamais pensé que la paille de plastique pouvait constituer une cible valable pour les initiatives de réduction des déchets. Voici pourtant quelques statistiques que j’ai trouvées sur la consommation annuelle mondiale de pailles (à partir des données des États-Unis et du Royaume-Uni, j’ai calculé la moyenne de pailles consommées par habitant, que j’ai ensuite appliquée à la population canadienne. Vous trouverez les calculs à la fin de l’article) :

États-Unis : 182,5 milliards

Royaume-Uni : 8,5 milliards

Canada : 7,7 milliards

En une seule année, la consommation de ces trois pays s’élève à l’ahurissante somme de près de 200 milliards de pailles. Pour donner une meilleure idée de ce que ça représente et voir l’espace que prendrait ces 200 milliards de pailles dans un site d’enfouissement, j’ai calculé le volume moyen non compacté de quatre pailles de format standard utilisées dans les contenants de boissons et de laits frappés des restaurants rapides. Le résultat? Cet amas de pailles atteindrait un volume de 1,55 million m3, soit l’équivalent de 11 685 remorques standard de 53 pi remplies au maximum. Si vous avez de la difficulté à le visualiser, songez que ces 200 milliards de pailles de 7,5 po mises bout à bout franchiraient 70 % de la distance qui nous sépare de Mars. Oui, vous avez bien lu : MARS.

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Plastic straw
Le problème :

L’une des raisons les plus importantes pour lesquelles nous devons réduire l’usage de pailles de plastique et de tout article de plastique à usage unique tient dans le simple fait qu’ils ne disparaîtront jamais. Ils continueront de s’accumuler dans nos sites d’enfouissement et dans nos océans jusqu’à ce que nous trouvions une solution de rechange. On doit également tenir compte des effets très nocifs de la dégradation du plastique à usage unique dans l’océan : le plastique n’est pas biodégradable, mais il se décompose en particules minuscules, nommées microplastiques, qui polluent la chaîne alimentaire aquatique autour du monde. De plus, la production de plastique est extrêmement nocive pour l’environnement. Les additifs utilisés dans la fabrication du plastique, comme les agents ignifuges, le BPA et le PVC, sont également dommageables pour nos ressources naturelles.

Que fait-on pour remédier à cette situation?

En fait, plusieurs initiatives prometteuses ont été lancées. De multiples organismes, entreprises privées, gouvernements municipaux et même nationaux ont entrepris la lutte contre la pollution plastique et la paille de plastique plus particulièrement. À l’échelle locale, l’organisme The Last Straw Toronto a organisé un événement visant à proscrire l’utilisation de la paille de plastique pour une journée; près de 150 bars et restaurants torontois y ont pris part. Cette initiative peut paraître comme une goutte dans l’océan, mais c’est un début. À l’échelle internationale, Taïwan et l’Écosse ont annoncé la mise en place de programmes visant à s’attaquer au problème des pailles de plastique. Les deux pays ont l’intention d’adopter une politique d’interdiction complète en 2019, ce qui obligera les principales chaînes de restaurants à cesser d’offrir des pailles de plastique à leurs clients. Alors qu’elle annonçait l’intention de son gouvernement d’interdire la vente de pailles de plastique, Theresa May, première ministre du Royaume-Uni, a récemment déclaré que « la gestion des déchets constitue l’un des plus grands défis environnementaux auxquels le monde est confronté ». Diverses municipalités, dont Malibu et San Luis Obispo (Californie), Seattle (Washington) et Fort Myers Beach (Floride) ont adopté des mesures de réduction ou d’interdiction de l’usage de pailles de plastique en 2018. L’un des plus importants contributeurs à ces efforts de réduction est McDonald’s, certainement l’une des marques les plus reconnues au monde. Les quelque 1 300 restaurants McDonald’s du Royaume-Uni vont progressivement éliminer l’usage de la paille de plastique. De nouvelles pailles de papier ont été mises à l’essai à partir de mai 2018 suite aux demandes de clients refusant les pailles de plastique. Il reste toutefois plusieurs obstacles, principalement financiers, prévenant l’adoption généralisée de pailles faites de métal ou de matériaux compostables. John Sidanta, président fondateur de Primaplast, a déclaré que la fabrication de pailles de plastique biodégradable est actuellement de cinq à six fois plus coûteuse que la production de pailles de plastique.

Il est urgent de prendre acte des coûts réels de l’utilisation du plastique à usage unique dans l’industrie alimentaire en tenant compte des graves dommages qu’il cause aux écosystèmes aquatiques, de même que des coûts de nettoyage des plages, de dépollution des milieux océaniques et de la gestion des sites d’enfouissement qu’il entraîne. On ne peut plus négliger l’impact des pailles et d’autres petits articles de plastique dans les problèmes environnementaux majeurs qui sévissent actuellement.

Il est temps de vivre #sanspaille et de faire les petits gestes qui contribueront vraiment à améliorer la situation.

Article rédigé par Jason Gale, coordonnateur environnemental, le 5 juillet 2018